La Justice au XXIème siècle
André Malraux avait songé au phénomène religieux en évoquant le XXIème siècle ; avait-il aussi pensé à la justice ? Quelle justice pour demain en matière constitutionnelle, civile, commerciale, pénale et administrative ?
Pouvoir judiciaire
Quelles que soient les latitudes, aucun esprit n’a jamais inventé meilleur instrument que celui conçu par Montesquieu et Locke pour limiter le pouvoir politique ; seul le pouvoir équilibre le pouvoir, et ainsi en va-t-il de la justice, qui ne peut remplir sa véritable fonction qu’en étant un pouvoir effectif et consacré comme tel par les lois fondamentales des nations. Toutes les déclarations des droits fondamentaux ne remplaceront jamais une structure de pouvoirs qui s’équilibrent mutuellement : une justice forte, qui a pour mission de faire prévaloir la règle de droit sur les majorités politiques contingentes et d’assurer la primauté des normes supérieures sur la tyrannie des idées du moment, de dire aussi ce qu’est la loi et non ce qu’elle devrait être.
Impartialité et indépendance
Il faut dire et proclamer que l’indépendance et l’impartialité des juridictions sont des conditions essentielles de la démocratie. Il n’existe pas de vraie justice sans ces qualités essentielles, qui la distinguent des systèmes juridictionnels inféodés à des pouvoirs ou mêlés de trop près à l’action administrative. L’indépendance et l’impartialité ne s’improvisent pas : statut des juges, conditions de leur nomination et garanties, composition des juridictions, collégialité, séparations mises en place avec les autres pouvoirs, procédures juridictionnelles, droits de la défense, voies de recours, séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement, respect des décisions de justice. La neutralité des juges est indispensable, quel que soit l’enchevêtrement des systèmes juridictionnels nationaux et supranationaux.
Humanité et économie
Comme les lois, la justice doit être adaptée au caractère, aux habitudes et à la situation des peuples pour lesquels elle existe, dans ce que le Chancelier d’Aguesseau nommait le « tumulte des passions humaines ». Point de justice sans entendement de l’humain, point de justice sans compréhension des phénomènes économiques qui font vivre les sociétés contemporaines. A quoi bon une justice aveugle et sourde, qui fonctionnerait comme un mécanisme froid de régulation sociale, sans que soient connus et compris par des juges compétents l’évolution des mœurs, les délicats équilibres de la concurrence et du pluralisme ainsi que les avancées parfois stupéfiantes de la technologie, qui confrontent l’homo juridicus à de nouveaux défis ?
Une justice proche, efficace et protectrice nous promettent nos gouvernants pour le XXIème siècle ; les priorités de la justice sont-elles aussi insipides ? Ne vaudrait-il pas mieux parler d’une justice de liberté, de stabilité et de prospérité ? La liberté individuelle, qui est le seul vrai fondement de l’action de la puissance publique en général et de la justice en particulier, la confiance légitime, la sécurité juridique, le respect de la vie des affaires et des engagements contractuels, la protection des personnes et des biens ainsi que la prise en considération du risque individuel dans une économie libre sont autant d’instruments qui feront de la justice de demain celle d’une société responsable et heureuse.
François-Henri BRIARD