Droits d’inscription à l’Université : une victoire pour le gouvernement
François-Henri Briard signe une tribune dans Le Monde du Droit concernant la décision du Conseil constitutionnel du 11 octobre 2019 et le principe de gratuité de l’enseignement supérieur public :
La récente décision du Conseil constitutionnel (2019-809 QPC du 11 octobre 2019) a été saluée par certains bons esprits comme une consécration de la gratuité de l’enseignement supérieur public qui ferait désormais échec aux projets du gouvernement en la matière. Rien n’est moins sûr. Il suffit pour s’en convaincre de prendre un peu de distance par rapport à la confusion ambiante et de lire attentivement cette décision.
Que dit-elle exactement ?
Tout d’abord, et ceci est essentiel, elle donne raison au gouvernement et rejette l’argumentation des organisations d’étudiants requérantes. Celles-ci n’avaient conçu cette question prioritaire de constitutionnalité que pour obtenir ultérieurement l’annulation de l’arrêté ministériel du 19 avril 2019 relatif aux droits d’inscription. L’argumentation constitutionnelle était simple : l’article 48 de la loi n° 51-598 du 24 mai 1951 de finances pour l’exercice 1951, sur lequel se fonde cet arrêté, serait contraire à la Constitution car il ne comporterait pas de garanties suffisantes et violerait le principe de la gratuité de l’enseignement public. Le Conseil constitutionnel répond clairement par la négative : cet article de loi n’est pas contraire à la Constitution ; le pouvoir réglementaire peut fixer les montants annuels de ces droits. La décision du Conseil constitutionnel constitue à cet égard une victoire totale du gouvernement ; car une décision de non-conformité aurait à coup sûr exposé l’arrêté précité du 19 avril 2019 à une annulation devant le Conseil d’Etat.
Ensuite, cette décision des sages de la rue de de Montpensier ne comporte pas davantage la moindre réserve d’interprétation ; la loi peut toujours permettre la fixation par arrêté des taux et modalités de perception des droits d’inscription, de scolarité, d’examen, de concours et de diplôme dans les établissements de l’État. Rien n’a changé à cet égard.
Enfin, comme il l’avait déjà jugé dans une certaine mesure en 2012 (Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012), le Conseil constitutionnel n’a fait qu’une application prévisible du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que l’enseignement public est gratuit « à tous les degrés ». Comment aurait-il été possible de juger autrement en présence de termes aussi clairs ? Mais le juge constitutionnel a aussitôt ajouté que cette gratuité ne fait absolument pas échec à la perception de droits d’inscription. Ces derniers devront simplement être « modiques », c’est à dire mesurés, et ils pourront, le cas échéant, être modulés en fonction des capacités financières des étudiants, en assurant l’égal accès à l’instruction, tout ceci se déroulant sous l’œil vigilant du juge administratif. Modicité n’est pas gratuité, et en termes plus concrets, il sera possible de percevoir des droits raisonnables, mais malgré tout avec une certaine relation au coût effectif des études ;ces droits devront aussi être conformes au principe d’égalité, dont on sait néanmoins qu’il impose précisément de traiter différemment des situations différentes (la question des étudiants étrangers extra-européens devra être intégrée au titre de ces différences).
La feuille de route du gouvernement est dès lors clairement tracée, en vue de la décision à venir du Conseil d’Etat : oui la loi est conforme à la Constitution ; oui vous pouvez fixer des taux et des modalités de perception de droits d’inscription ; oui, vous pourrez le faire mais faire avec mesure, en respectant –les ministres le savaient déjà – les principes de gratuité et d’égal accès. Le Roi Pyrrhus n’aurait pas démenti un tel épilogue constitutionnel.
François-Henri Briard